Un masque et un tuba ! Voilà à quoi me fait penser ma vie végétative... Un masque et un tuba. J'ai un champ de vision étroit comme celui d'un masque et la respiration difficile d'un tuba partiellement rempli d'eau mais vous savez, ces tuba à balle de ping pong qui bloquent la respiration lorsque l'eau les touche... Oui, je sais, ces tubas existaient lorsque j'avais 25 ans et n'existent plus depuis fort longtemps.
Mon masque a le verre sale et mal ajusté et au travers de lui j'aperçois la télé toute blanche de calcaire... Et puis le bruit permanent que je ne perçois plus de l'humidificateur d'eau, bruit humide qui se dissout dans celui de la machine à gonfler mon matelas, machine qui vibre et tressaute mais je m'en fous et enfin le ventilateur qui m'aère et les jambes et les pieds... Mon drap supérieur est tendu sur les barrières du lit et fait tunnel sur mes jambes maigres. Non de dieu que mes jambes sont maigres et que ma peau de vieux est fine. J'ai le pouce des pieds comme le pouce des mains. A la retourne. Des pouces intelligents, subtils... On admirait mes pouces, on les enviait... Des pouces d'étrangleurs aussi.
La télé déblatère comme un moulin à prières emballé. Je n'écoute pas vraiment. Le sens des phrases m'échappe. Parfois je ne me souviens même pas du sujet des conversations.
Ça fait longtemps que je n'ai pas vu Pierrot. Je déglutis sinon je me bave dessus. Mon hyper-sialorrhée me noie. Je m'ennuie à 3000 euros de l'heure. Le film du magnétoscope est terminé et le programme sur la 3 ne m'intéresse pas. Vingt quatre heures c'est long à mon âge et dans mon état.
Mon fils veut que je me mette des couches mais je ne veux pas, c'est la dégénérescence. Pourtant ce serait plus pratique, je pourrais me chier dessus à ma guise... Rien que l'idée me fait horreur. Pipi peut-être ? Mais je peux encore me lever. Très difficile mais je le peux encore. Si je l'écrivais j'userai de "mais je le puis encore" Tournure trop littéraire mais tellement plus esthétique...
Ils m'ont fait prendre des médicaments pour aller à la selle mais c'est toujours trop ou pas assez et il est tellement avilissant de se faire fouiller le fondement pour y aller mais aussi tellement désagréable et douloureux. J'ai peur d'être dans une phase trop liquide... Ça me travaille les intestins. Il faut que je me lève, que j'appelle Pierrot au secours. Je ne vais jamais pouvoir me retenir jusqu'au siège !
Une jambe, deux jambes en dehors du lit. Je transpire, j'ai mal au ventre, ça pousse et je serre les fesses. Je m'y reprends à trois fois pour me lever. A la la une, à la la deux... Quelle merde la vie parfois que c'en est rien de le dire. J'arrive à la cuvette avec difficultés. La cuvette est trop large pour mon cul maigre de vieux décharné et je m'y enfonce dedans comme le fil dans le chat d'une aiguille. Je dois avoir l'air stupide. Quelle leçon d'humilité permanente et insupportable qui me remet malgré moi les pendules à l'heure.
Je m'essuie tant bien que mal, un vrai carnage. Mon fils arrive et je suis soulagé et gêné par sa présence. Il me relève pour me ramener au lit et là c'est épouvantable. Ça coule malgré moi le long de mes jambes et goutte sur le sol de la salle de bain dans un plic ploc lugubre. On dirait une vache qui bouse. J'imagine la gène et son dégoût. Il essaye de me déplacer et je marche dedans. "C'est la merde" lui dis-je. "C'est le moins que l'on puisse dire" me rétorque-t-il. Il m'essuie de nouveau puis me fait m'appuyer sur le lavabo et se met à genoux sur le sol et éponge la merde avec une serviette sale, puis avec une serviette propre. Je tremble d'épuisement sur mes jambes.
Il m'aide à retourner dans mon lit. Il me recouche en deux temps trois mouvements. Je le remercie. "Pas de quoite" me dit-il. Il me demande si ça va. Je le rassure. Je préfère ne pas trop penser à ce qu'il ressent. Je lui demande de me mettre la 2, ce que... Il refait le niveau de mon verre d'eau et me propose de boire, invitation que je décline puis s'en retourne à ses occupations après avoir insisté avec un "papa, tu devrais boire plus, tu te déshydrates et c'est pour ça que tu deviens sourd... C'est vrai que je deviens sourd et du coup il me fait supporter un casque 24h sur 24. Il entendait la télé jusque dans la maison de l'autre côté de la rue.
Il décline lui aussi. Je me demande s'il ne se fait pas une dépression sérieuse. Il ne supporte pas les sons forts, ni les enfants, ni les chiens... Un homme qui ne supporte ni les enfants, ni les chiens ne peut être foncièrement mauvais. J'écoute mon ventre avec inquiétude, pourvu que je n'ai pas envie de refaire pipi. Mon fils est parti. Je m'en retourne à ma honte et à mon ennui...
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire