dimanche 18 juillet 2010

Vie dure la vie...

J'ai froid, non de dieu que j'ai froid. J'ai froid au pieds, j'ai froid aux mains, j'ai mes doigts gelés sur le goulot de la bouteille glacée qui me ruine la poche de mon manteau. Le vent me pique et les doigts et le visage... Presque plus de cigarettes. Deux ? Trois encore ? Je ne sais plus. J'ai récupéré un Bic je ne sais ou... Presque vide. Il est mon feu, il est ma lumière. J'ai les chaussettes trempées qui font un drôle de bruit à l'intérieur de mes chaussures. Je n'ai même pas de chien maigre pour me réchauffer. Helmut, lui a un chien qui lui tient chaud. Qui lui tient tiède ?... Un chien décharné et sale, un chien qui l'aime comme un chien...

Putain que j'ai froid, que je me sens sale et que je sens mauvais. J'ai les mains et tout le corps qui pègue, qui colle comme un vieux papier tue mouches. Cinq jours que je ne me suis pas lavé, que je ne me suis pas rasé... J'ai la gueule et les cheveux en vrac, j'ai la tête qui me gratte et des croutes me viennent sous les doigts, sous les ongles. J'ai du mal à marcher, même de travers. Le kiravi me brûle et la tête et les entrailles. Le vent glacé me transperce, je remonte ce qui me reste de col à ce manteau, cette rugosité grasse et élimée. Je rentre ma tête dans mes épaules autant que je le peux, le vent me pique aux yeux.

Plus je bois et plus j'ai froid. Je le sais tellement que boire ne réchauffe pas, que c'est même l'inverse. Il me glace de l'intérieur. Un fond de rouge, il ne me reste qu'un fond.

Le pont, là, sonnant dans la nuit et dans l'ombre du son de mon pas hésitants, dans la nuit noire baigné par la lueur morbide d'un lampadaire unique. Merde, une flaque de neige mouillée. La glace à la surface de l'eau crisse et cède sous mon poids. Ploutch fait mon pied dans l'eau glacée qui m'envahi la grole gauche. Putain et merde et merde ! J'arrive à proximité de mes cartons. Ils dansent la sarabande infernale de mon ivresse. Un vieil emballage de machine à laver, du carton épais qui protège de l'humidité et du vent. Du carton humide comme l'air ambiant. Je n'ai pas le courage de faire du feu des quatre planchettes de bois amassées devant l'entrée de mon gite. Dans un carton un peu plus loin un chien se gratte une puce ou un troupeau d'y-celles en gémissant doucement pour ne pas réveiller son maître.

J'allume ma lampe à pétrole chouravée sur des travaux. La flamme hésite puis danse mal dans le globe de verre opaque. Le verre est noir de fumée. Je n'y vois pas grand chose, mais voir quoi ? Je retire mon manteau qui n'a plus du manteau que le nom et sa crasse indélébile. J'ai du mal, c'est tellement exigüe. Je me contorsionne comme un poisson en manque d'oxygène. Je retire mes chaussures ou du moins ce qu'il en reste. La semelle se sépare comme à regret du cuir élimé qui se déchire par endroit. Des Nike fut un temps. Je retire mes chaussettes sales et trempées. Putain le froid me transperce. Je cherche une paire presque sèche mais cependant trempées d'humidité. Je m'essuie les pieds avec. De toutes façons elles sont sales depuis si longtemps.

Putain que j'ai froid et que la nuit est épaisse autour de moi. J'entend Simon, un prof de philo que je ne sais comment il est là cracher ses poumons. Loin là-bas un chien hurle à la mort. Je m'enfile dans mon duvet qui pue l'agonie et dont le col luit de crasse usée. Il est glacé dedans comme dehors. Je tire par dessus la grosse couverture rouge. Je rabats un bout de carton d'emballage qui me sert de porte. J'extirpe de ma poche un reste de pain et jambon sans beurre... Un festin si je ne le vomi pas avec le rouge qui me torture. Je fais durer ce moment autant que je le peux. Je mastique avec application puis je rentre mes mains dans mon pantalon et dans mon slip, entre mes jambes, contre mes couilles et mon sexe. Seul endroit de mon corps encore un peu chaud.

Je grelotte comme un malade. J'ai mal à la tête... La grippe "A" ? Je ris ! Ma respiration fait de la fumée comme lorsque j'étais gosse, l'hiver quand j'allais à l'école... Le froid m'engourdit doucement, lentement, insidieusement. Je ne sens plus mes pieds... Je n'ai plus de pieds ou je n'ai plus froid. Je monte mon duvet par dessus ma tête, par dessus mon bonnet. Un jour il fera jour, un jour il ne fera plus nuit... C'est vrai qu'aujourd'hui c'est la fête ? Bonne année...

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